Marcel Broquet : Anecdotes

« Je leur donne tout au plus trois mois. »

C’est ce qu’un professeur affirmait lors du lancement de la librairie que nous venions d’ouvrir, mon épouse Françoise et moi. C’était en mai 1959, moins d’une année après mon départ de Suisse pour le Québec.

La grande aventure commençait avec des hauts et des bas.

Cette partie de notre vie, celle de la librairie devait durer 20 ans.

Peu avant l’exposition universelle de Montréal en 1967, j’ai été contacté par M. Barbey consul général de Suisse à Montréal. Il m’a demandé de l’aider à « monter » la librairie au pavillon Suisse. Soutenu financièrement par Pro Helvetia, l’équivalent de notre Conseil des Arts. Après l’expo, il fallait disposer les livres. Le conseil m’a suggéré de faire une tournée d’exposition dans plusieurs villes du Québec pour les livres qui n’avaient pas été vendus durant l’exposition universelle.

Belle aventure qui n’était pas terminée.

Après la tournée, il restait encore un bon lot de livres. Pro Helvetia, par l’intermédiaire de M. Barbey m’a fait savoir que je pouvais garder les livres. Je n’ai pas dit non évidemment. J’en ai gardé un bon lot et vendu le reste à André Fortier, bibliothécaire à Verdun, où la librairie était installée. Mais ce n’était pas tout. M. Barbey m’a invité au restaurant le Guillaume-Tell sur la rue Stanley pour me demander si je serais intéressé à représenter au Québec plusieurs éditeurs Suisses. Qu’à cela ne tienne, j’ai ainsi entrepris une nouvelle activité, celle de distributeur.

C’est grâce aux oiseaux

Peu de temps après mes rencontres auprès des éditeurs de Suisse Romande, je reçu un appel de l’éditeur de la maison Delachaux et Niestlé. Il m’offrait d’acheter 1 000 exemplaires d’un prochain livre à paraître sur les oiseaux de l’Amérique du Nord. J’étais très intéressé. Alors que je m’apprêtais à lui envoyer ma commande, Françoise m’a dit : Non, lui pourra nous en acheter puisque nous allons l’éditer. Ce que femme veut… Nous ne connaissions pas grand-chose à l’édition.

Ni une ni deux, elle prit rendez-vous avec l’éditeur américain à Racine au Wisconsin. Nous sommes revenus avec un contrat signé. Il fallait traduire le livre. Ce qui fut réalisé par un ornithologue suisse employé par la Smithsonian Institution à Washington. Je n’entrerai pas ici dans les détails de ces débuts de l’édition. Je note toutefois que les guides sur la nature qui se sont vendus à des milliers d’exemplaires nous ont permis d’éditer des livres d’art et, faut-il le préciser, nous familiariser avec les « secrets » de l’édition.

Libraire, distributeur ou éditeur

Beau métier que celui de libraire. On y rencontre les lecteurs et parfois on devient amis. Et on reçoit des nouveaux livres continuellement. Nous importions, à cette époque, les livres directement des éditeurs francophones européens. Ici aussi, il fallait, à l’époque, s’adresser aux éditeurs. Ce n’est que dans les années soixante que nous vîmes apparaître les distributeurs. Ce qui avait l’avantage de pouvoir concentrer les achats de livres.

Désavantage toutefois, les éditeurs vendaient aussi leurs livres aux institutions d’enseignement et aux bibliothèques. Et aux mêmes conditions qu’aux libraires. Et l’on vit, avant la loi 51 sur le livre, des éditeurs n’accordant aucun escompte aux libraires. Rajoutons les frais de livraison et l’exigence de payer avant de livrer et le libraire travaillait à perte. Belle façon d’éliminer les libraires pour les livres scolaires en particulier et de forcer les institutions d’enseignement à commander directement auprès des éditeurs.

Je n’en finirais pas de parler de cette épopée qu’était la librairie à cette époque. Mais l’espace accordé de cette revue ne me permet pas de « m’étendre » davantage.

Toutefois, avant de quitter le libraire, je vais vous fais part de deux petits évènements dont l’un assez savoureux.

C’était la rentrée des classes et les étudiantes venaient avec leurs mères le plus souvent à la librairie acheter les livres que les sœurs de l’école Marguerite-Bourgeoys leur demandaient d’acheter. Pendant plusieurs jours avant la rentrée, la librairie pouvait recevoir jusqu’à 20 – 25 étudiantes.

Toujours est-il que nous étions un peu débordés.

À un moment donné, j’ai appelé Raymond qui s’occupait de l’entrepôt afin qu’il puisse nous donner un coup de mains et à tout le moins faire patienter les étudiantes et leurs mamans.

Très gentil et serviable.

Une jeune fille entre et Raymond lui demande :

-Est-ce que je peux vous aider ?

-Oui, je cherche Madame Bovary.

Comme chacun le sait, une œuvre de Gustave Flaubert.

Je me suis d’ailleurs demandé comment se fait-il que ce livre soit recommandé par les religieuses-professeurs.

Bref, notre Raymond qui n’était pas très haut et pour qui la culture n’était pas sa tasse de thé, se dressa du mieux qu’il pouvait, sur ses deux pieds et se mit à demander à haute voix :

-Y as-tu une Madame Bovary icitte ?

C’est moi qui ai eu l’air un peu fou, pas lui. Et je lui ai demandé sans attendre de retourner dans son antre continuer son travail qu’il faisait très bien.

Dans un tout autre ordre d’idée, je vous parle du livre le plus cher que j’ai commandé pour un très bon client, à savoir le notaire Clément.

Il avait visité la France et en était revenu enchanté. Il m’avait demandé si je pouvais lui trouver un livre, un très beau livre sur les vitraux de la cathédrale de Chartres. J’ai cherché et trouvé un superbe livre… qui pesait plusieurs kilos ! Je l’ai commandé sans attendre que le notaire confirme sa commande. Le livre est arrivé dans une grosse boîte en bois qui faisait un mètre de haut. Françoise et moi nous avions sous nos yeux le plus beaux livre… et le plus cher. Il m’avait coûté 1’000 $ l’équivalent de 10’000 $ aujourd’hui.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Lieux d'écriture

février 12, 2024

Destination plage : nos sélections de lecture

février 12, 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *